Racines

Shorai saisit avec délicatesse la petite main tendue devant lui. Il lança ainsi un regard perçant à son camarade et l'accompagna de la seule réponse possible à la situation.

-Ami.

La forêt elle-même semblait désapprouver leur pacte, symbolisant son désaccord par un silence des plus lourd uniquement brisé par des rafales de vent impossibles fouettant le visage des genins.  Peut-être était-ce le thé qui n'en finissait plus d'altérer ses sens, mais au fond de lui, Shorai était d'accord avec son environnement et se doutait d'avoir conclut quelque chose de terrible. En fait, malgré son inexpérience, il savait qu'une réelle amitié n'avait rien à voir avec leur relation. Et, l'espace d'un instant, il eut peur.

Shorai voyait bien que son ami souffrait du poids avec lequel la famille Okagami écrasait l'un de ses meilleurs espoirs, qu'elle l'impose ou que le genin se donne lui-même la pression importait peu. Parfois, Shorai se demandait si le gamin aux cheveux blancs existait vraiment, ou si ce qu'il côtoyait depuis quelques mois n'était que l'ombre d'une âme ayant déjà existé et maintenant perdue... et depuis la perte de Shibuki, Shorai aurait aimé se donner pour mission d'aller chercher le jeune Okagami qui nageait probablement au milieu d'un océan de ténèbres. Or, il en était incapable. Incapable de vouloir.

L'orphelin avait peur car il vivait dans un vide, un néant qui formait son passé, sa famille, son présent, ses amis et son futur. Son Shorai. Il n'était ni isolé, ni oppressé par un clan puissant. Il n'avait rien des attaches de son camarade et de sa réalité, et Shorai n'était qu'un mirage, un nuage se colorant parfois au rythme de ses humeurs et de ses peines, libre au milieu de nulle part. Il se voulait empathique, partageant la douleur du clan Okagami avec le fils de la matriarche, mais ces émotions provenaient d'un code d'honneur envers Mitaki et non pas du coeur comme il aurait aimé le souhaiter. Pour cette raison, il ne pouvait être l'ami de personne, et en attendant il jouait toujours le jeu derrière un écran froid et prisonnier d'un esprit désert.  

Mais qui pouvait lui en vouloir? Shorai n'avait pas les bases pour se forger une individualité. Ce qu'il avait toujours fait n'était qu'éphémère, il ne pouvait accumuler d'expérience puisqu'il n'avait pas de plancher solide sur lequel il pouvait espérer se construire et vivre. Il errait comme un fantôme solitaire dans une ville en mouvement tandis que même l'Académie n'avait su lui procurer une matérialité suffisante pour faire réellement partie du village. Il s'agissait pour l'orphelin d'une triste condition à laquelle il devait s'adapter et ne jamais trouver de réponses, bien que le mal empoignait son coeur lorsqu'il faisait face à son indifférence. Victime d'un coeur d'enfant, vivre était une épreuve de force tandis qu'il ne désirait qu'avoir une place dans ce monde si distant. Or, c'était là le grand paradoxe qui rongeait Shorai: comment pouvait-il ressentir tant de détresse s'il n'était qu'un mirage destiné à vivre sur un autre plan d'existence?

Le genin portait toujours ce fardeau en silence, désirant à la fois se conformer au code de Mitaki et étant conscient de la futilité de son mal. Ses sentiments eux-mêmes n'avaient pas leur place dans ce qu'il voulait être de sa vie. Incapable d'être, Shorai avait choisit le rôle d'enfant heureux parce que c'était plus facile, plus naturel et propice pour aider le village. Il voulait, sans émotion, posséder cette Volonté de Feu mais redoutait de ne jamais y parvenir. Il voulait devenir le meilleur shinobi possible mais ne brûlait pas de la passion qui unissait ses camarades, ce qui le rendait invisible aux yeux de ceux-ci. Shorai était l'oubli aux yeux ou presque: Kohhy-chan, son étincelle, et maintenant, Kojiki. Les choses avaient changé.

Aujourd'hui, il  avait comprit que malgré tout le mal habitant l'Okagami ne l'oublirait jamais, et il avait peur d'y prendre goût.